Il est plus que temps que la gauche de la gauche s’aperçoive qu’il n’y a rien à la gauche de la gauche. Je ne dis pas que Mélenchon n’ait pas raison de ne rien lâcher sur ce qui l’oppose à son ancien patron — un hémicycle s’ouvre généralement à cent quatre-vingts degrés. — Ce que je dis, c’est que face à une alliance de type antifranquiste, il est fâcheux qu’on trouve encore quelques bleus qui voient rouge. Rappelons-leur la compulsion historique des adeptes du culte du néant à relâcher la cause du peuple au cœur de la tempête, ou pire, une fois que le calme, en partie grâce à eux, a tout remis à plat. Et parce que rien n’est plus tortueux qu’une populace dont on redoute qu’elle passe l’arme à gauche et nous prive des jouissances de la prochaine séance qu’on lui avait amoureusement concoctée, il faut bien qu’on la sauve, de soi, et au passage, qu’on lui suggère de dire merci. Merci au patronat rougeaud qui compte bien récupérer ses jouets absolutistes, confisqués, enfermés à double tour dans la malle d’un capitaine pédalant à la vitesse des Lumières, plus vite que l’œil de Heisenberg, ça on le savait! même qu’on serait foutrement emmerdé à devoir lui accorder une victoire sur le mal, nous qui avions rangé dans nos tiroirs du bas plusieurs centaines de milliers de flyers à l’effigie d’F le Faux derche en grande conversation avec le diable libéral.
S’il y a bien une chose qui jusque-là m’a empêché de tenir le camarade Mélenchon pour mon ennemi, c’est l’amour qu’il porte à la haute république, haute dans ce qu’elle porte haut les valeurs humanistes d’une nation glébeuse qui dans son impureté abreuva les sillons de cette loi dont nous récoltons tous les jours le fruit dur et tendre à la fois, ce fruit tendu à un niveau de perfection qui nous maintient dans un état d’insatisfaction pour le moins salutaire, à moins qu’il ne nous fasse dédaigner les satisfactions qu’il nous procure. J’en appelle à présent au fidèle castrateur de la Bête. Ressaisissons-nous, camarade! Halte au mal! Entendez-les, ces répliques de truands qui nous mettent en garde contre les «conséquences catastrophiques» que nous aurions amplement mérité de nous prendre dans la poire, pauvres pommes que nous sommes, habituées à nous écraser devant la Fourchette tueuse. En êtes-vous? Où en êtes-vous, d’ailleurs, politiquement. Au pacifisme de type non-agression pact, peut-être… Vous voyez, moi, quand je pense à la paix, je touche les cris de joie de la Libération, les fleurs jetées au ciel et celles jetées en terre. Vous proposez de «travailler à une solution politique»? Prenez-vous donc au mot. Quoi de plus politique que cette orchestration du dernier acte d’une victime du patriarcat désespérément en quête de personnalité, devenue en quelques mois le plus fameux criminel de guerre multirécédiviste de notre début de siècle?
Mais je quitte Jean-Luc Mélenchon, et me tourne, si possible avec lui, vers Anders Behring Breivik. On ne m’avait pas informé de son évasion et je dois dire que je n’en reviens pas de le voir assis, là, en tenue de parade, engoncé sous la face aplatie d’un Assad sous verre, pendu haut et court entre deux drapeaux, pris en flag d’autotrahison. Et son esprit vrillé, reconnaissable entre tous, me remonte un grand cru de sa cave :
«Une frappe militaire en Syrie servirait les intérêts d’Israël et d’Al-Qaïda.»
Bien. Essayons de visualiser le monde tel qu’un esprit qui se démonte va le peupler de monstres échappés de son indémontable surmoi. Où est tenu pour vrai le sabre indubitablement phallique dont Ben Laden a rêvé de percer la métaphore d’un Verus Israël enveloppé dans sa nuée, un Israël au spectre identitaire décalé, qui le fascinait, au sens étymologique du terme, j’entends par là qu’il lui paralysait le moi. On connaissait l’équivalence obscène «étoile de David = croix gammée», et voilà que surgit un nouveau brouilleur de conscience programmé pour frapper encore et toujours ce satané briseur d’idoles, ici dans sa version dodécatribale : «Israël = Al-Qaïda». Cette incongruïté mentale insinue que le vide laissé par Assad offrirait toute latitude aux salafistes de substituer au Front national progressiste leur joyeux califat tout en feignant d’ignorer le gigantesque espoir que représenterait pour l(a Syrie) éternelle une opposition pluraliste soutenue par ses alliés occidentaux, mais cela ne s’arrête pas là. On affirme que la victoire annoncée du djihadisme hyperterroriste résonnerait comme une bénédiction aux oreilles de Shimon. Abscons. Pervers. Gerbant. Et terriblement méprisant à l’égard d’une rue chi’îte qui n’avalera jamais l’une derrière l’autre ces deux couleuvres déguisées en vipères.
Nous ne sommes plus en 2011 et moins encore en 2001. Le risque d’extension d’une guerre orientale à laquelle se mêleraient les forces du Couchant s’estompe de jour en jour. Le monde arabe a rattrapé la courbe du temps linéaire. Sa Belle au bois dormant a reçu un baiser de Corleone. L’été, l’automne, l’hiver ont rappelé à chacun la menace que chaque autre fait planer sur lui dès l’instant qu’il se fige. Mouammar n’était pas le roi des rois d’Afrique. Mahmoud a disparu après avoir singé le Tout-Puissant. Ce n’est pas demain la veille que la planète Oumma se soulèvera par la peau du cou au coup de sifflet d’une baudruche dégonflée. La tyrannie a montré ses limites quand la mort du tyran n’émeut plus son esclave que le temps d’une fiesta chavéziesque. Paradigmatiquement parlant, que présage un tel basculement? Dur à prédire. La fin de l’ère Assad, assurément. Le début d’une démocratie mondiale, faut-il s’en réjouir? Il faut, dans tous les cas, l’aborder comme le ferait un aigle surplombant son empire. Avec gravité.
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Par : Asermourt
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